Le travail de nuit des boulangers, 1870 2/3

Le travail de nuit des boulangers, quelques-uns des acteurs, 1870 et après.

Le CREBESC est heureux de publier avec l’autorisation de son auteur l’une des nombreuses études de Mme Michèle Audin extraite de son blog consacré à la Commune de Paris que nous vous conseillons fortement :
https://macommunedeparis.com/

Dans cet article, suite du précédent, je donne quelques informations sur certains des acteurs du décret de la Commune sur le travail de nuit des boulangers.

Le « responsable syndical » est Adolphe Tabouret. Il est né à Batignoles (alors un village inclus dans les fortifications de Paris mais indépendant) le 25 septembre 1837. Il vit à Ménilmontant avec une couturière nommée Caroline Boulanger (si, si) et leur fille née le 25 novembre 1866. Ils se marient en août 1870, je ne sais pas ce qui les a décidés à le faire, mais grâce à leur acte de mariage, je peux vous dire que Caroline Boulanger ne sait pas signer son nom, ce que je considère comme une indication sur leur niveau de vie.

Nous avons vu dans l’article précédent Adolphe Tabouret s’activer pour réunir les ouvriers boulangers. Il était membre de l’Association internationale des travailleurs. On le voit intervenir, au cours d’une réunion du Conseil fédéral de cette association, en plein siège de Paris, le 19 janvier 1871:

Le travail infligé aux ouvriers boulangers est oppressif. Il se fait la nuit, sans nécessité, cela nous sépare de la société et de la famille ; dormant pendant le jour, nous vivons comme retranchés du monde, aussi ne pouvons-nous être en communion d’idées avec les travailleurs. Les boulangers demandent l’appui de l’Internationale.

Une grève de boulangers aurait une grave influence sur la société.

Eugène Varlin fait alors remarquer que « le moment serait mal choisi, aujourd’hui que la farine manque ».

Quelques semaines plus tard, au début de la Commune, le 6 avril 1871, une assemblée générale des ouvriers boulangers élit cinq délégués. Adolphe Tabouret est du nombre, ainsi que Constant Boutin. Deux jours plus tard, ils font parvenir à la Commune le texte suivant:

Au nom des principes républicains qui sont l’affranchissement des travailleurs. Les ouvriers boulangers désirants rentrer dans la vie commune d’où ils sont sortis par la fantaisie despotique du patronat, demandent à la Commune, seul gouvernement juste et qui a souci des besoins populaires :
1° un décret qui abolisse le travail de nuit et que les ouvriers commencent le travail à 5 heures du matin.
2° l’abolition immédiate des placeurs, quels que soient leurs titres, pour anéantir tout système de parasitisme. Chaque ouvrier se fera inscrire à la mairie, ce qui procurera autant de facilités aux patrons.
3° une enquête pour rechercher les ouvriers de la corporation, qui étant sous le coup de la loi militaire, sont cachés par les patrons et les placeurs […] À côté de cela il y a des hommes mariés, pères de famille et des hommes d’âge qui sont très souvent sans travail vu la trop grande quantité d’ouvriers boulangers agglomérés dans Paris.
Espérant cette juste Réforme, agréez citoyens nos saluts fraternels et notre dévouement.

C’est la source du décret du 20 avril 1871 (voir l’affiche en tête de l’article précédent).

Mais revenons aux acteurs.

Constant Boutin Saumur Plein d’Honneur, est un compagnon du Devoir. Il est né le 14 avril 1827 à Chinon. Il a fait son tour de France. Il s’est marié en 1851 aux Rosiers-sur-Loire (Maine-et-Loire) avec Joséphine Louise Forest, indiquée sans profession mais qui, elle, savait signer son nom. Il est ensuite parti travailler à Paris.

Comme il était compagnon du Devoir, Constant Boutin a laissé plus de traces qu’Adolphe Tabouret, par exemple, et ces traces ont été rassemblées dans un très bel article de Laurent Bourcier, que j’ai utilisé et auquel je renvoie.

Nous avons vu Constant Boutin apparaître (voir l’article précédent) dans un article d’Eugène Varlin sous le nom de « Boutin aîné ». Avec son frère, il s’opposait au président de la Société de secours mutuels.

Le cheval de bataille de Constant Boutin semble avoir été la lutte contre les placeurs — qui n’ont pas été oubliés dans le décret de la Commune (voir l’affiche en tête de l’article précédent).

Constant Boutin meurt à l’hôpital Saint-Antoine le 25 septembre 1890. Il a soixante-trois ans, habite à la Villette et est alors marié à une journalière de soixante-sept ans, Marie Boizeau. L’hôpital, la Villette, comme l’épouse journalière, laissent imaginer que cet ouvrier actif et érudit ne vivait pas dans la richesse…

Son frère, Eugène Boutin Saumur l’Ami du Progrès (1834-1872), était aussi un compagnon du Devoir. Il y avait d’autres frères Boutin boulangers et compagnons du Devoir, dont Frédéric Boutin Saumur l’Ami du Devoir, né en 1829 et mort en 1853.

Je cite ici un extrait de Comme une rivière bleue — la scène se passe juste après la mise à bas de la colonne Vendôme (le 16 mai 1871) :

ce mardi, à sept heures du soir, Charles Longuet, Leo Frankel et Fortuné Henry, sur les marches du fameux escalier en spirale de l’Hôtel de Ville, reçoivent une députation de douze à quinze cents ouvriers boulangers venus, avec drapeaux rouges et bannières de corporation, remercier la Commune. Mille deux cents à mille cinq cents, c’est, même en admettant une grosse exagération, une délégation consistante. La mesure n’est pas allée sans mal. Évidemment les patrons lui sont opposés et, tout aussi évidemment, une partie de leurs ouvriers les suivent. La taille de la délégation est rassurante. On ne peut s’empêcher de remarquer que le 16 mai est le jour de la Saint-Honoré, et que ledit saint Honoré est le saint patron des boulangers et puis, une fois rassuré, de s’inquiéter, comme ne manquent pas de le faire nos amis du Prolétaire: le Peuple n’a pas à remercier ses mandataires d’avoir fait leur devoir! Ou alors: ces remerciements sont une expression des relations politiques entre ce qu’on appellera plus tard « la base » et les élus du peuple.

Il n’y a pas de doute qu’Adolphe Tabouret était de la délégation. Constant et Eugène Boutin en étaient certainement aussi. Peut-être aussi Alexis Chaussepied, Angevin le Vengeur du Devoir et Louis Pierre Adolphe Cheramy, Vendôme le Décidé, tous deux, ensuite, déportés en Nouvelle Calédonie par les conseils de guerre versaillais.

Le docteur Hilarion Huguet (1822-1892), qui appela quelques jours plus tôt, par l’affiche ci-dessus, à une autre manifestation, n’était certes pas un ouvrier boulanger. On trouvera sans mal dans le catalogue de la Bibliothèque nationale de France les titres de ses ouvrages médicaux — choléra, somnambulisme, spiritisme… — rien sur la boulangerie, si ce n’est qu’il était installé, en 1856, 5 rue… du Faubourg Saint-Honoré. Et qu’il avait été nommé président de la Saint-Honoré, la société de secours mutuels des boulangers.

Il y a aussi des traces de boulangers opposés à la Commune, en particulier parmi les compagnons du Devoir. Comme Jean-Baptiste Entraygues, Limousin bon courage qui s’est particulièrement distingué lors la manifestation réactionnaire des « amis de l’ordre » place Vendôme, le 22 mars 1871, ou Georges Alexandre Wilhelm, Franc-Comtois l’Ami de l’Honneur, qui servit dans l’armée versaillaise — peut-être pas par conviction politique.

À suivre

*

J’ai copié l’affiche « contre » le décret sur le site des bibliothèques spécialisées de la ville de Paris, là.

Je remercie chaleureusement Laurent Bourcier Picard la Fidélité pour le site du Centre de recherche et d’étude de la boulangerie et de ses compagnonnages, en particulier pour ses articles (cités ci-dessus) et pour tous les renseignements qu’il m’a donnés, sur les frères Boutin, mais pas seulement.

Livres utilisés

Les séances du Conseil fédéral de l’Internationale à Paris pendant le siège et pendant la Commune, Lachaud (1872).

Audin (Michèle)Comme une rivière bleue, L’arbalète-Gallimard (2017).

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