Les « Petites Mères » de Paris.

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Sur la vitre de droite « Bureau de placement des garçons boulangers »

La société des compagnons boulangers du Devoir de la ville de Paris, désirant s’affranchir du joug des placeurs, a dans son assemblée générale du 2 aout 1877, résolu de fonder autant de lieux de réunion qu’il serait en son pouvoir, sous le titre de petites mères, afin de procurer du travail a tous ses membres, de faire rentrer de l’argent dans les caisses et bien sûr recruter. À cet effet, elle a dans son assemblée extraordinaire du 18 juin 1878, sur la proposition de sa commission de travail, délibère et arrête le règlement dont la teneur suit :

-art 1 : Tout ouvrier boulanger indépendant de la société aura droit au travail, moyennant une cotisation mensuelle de 1 franc.

Le versement de son adhésion sera de 3 francs qui seront considérés comme trois cotisations payées, dont deux d’avance, qu’il devra autant que possible toujours entretenir.

-art 2 : Tout compagnon, aspirant ou indépendant, qui se présentera chez nos mères pour avoir du travail, devra justifier de son droit par la présentation de sa carte de cotisation qui lui sera délivrée au siège social, 5 rue Quincampoix. Nul ne sera inscrit s’il doit plus d’une cotisation.

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Rue Quincampoix

-art 3 : L’envoi au travail se fera par les soins des compagnons en place chez chaque petite mère, comme au siège social. En leur absence, l’envoi se fera par le père ou la mère.

-art 4 : Tout compagnon, aspirant, ou indépendant, aura les mêmes droits au travail, suivant ses capacités ou les besoins des travaux. Une liste de demande de travail sera affichée auprès du présent règlement ; elle portera la date de la demande, les noms de famille, de province, de compagnon, aspirant ou indépendant du demandeur ; elle sera renouvelée le mardi de chaque semaine, et un double sera envoyé ou portée au siège social, afin que la commission en prenne connaissance ; il en sera de même des noms de ceux qui seront partis travailler, et de leurs postes, ainsi que des noms et adresses de leurs patrons.

-art 5 : Tout compagnon, aspirant ou indépendant, reconnu avoir tenu des propos ou commis des actes immoraux ou scandaleux dans les boutiques, sera puni d’une amende de deux francs ; s’il récidive, l’affaire sera portée devant la plus prochaine assemblée, qui en délibèrera pour les compagnons et aspirants. L’indépendant qui, par récidive, commettrait ces mêmes fautes, se verra refuser le travail, il en sera de même si ses amendes ne sont plus payées dans l’espace d’un mois.

-art 6 : Tout compagnon, aspirant ou indépendant, qui, après avoir commencé son travail, viendrait à le cesser sans attendre son remplaçant, sera a l’amende de deux francs. En cas de récidive, voir l’article 5.

-art 7 : Tout compagnon, aspirant, ou indépendant, qui sera remercié, ou qui aura le désir de cesser son travail, devra en prévenir le père ou la mère d’ou il a été envoyé, le matin de la sortie, sous peine d’une amende de deux francs. S’il cesse de travailler de lui-même, il devra attendre que son remplaçant soit envoyé avant de se faire payer, sous peine d’une amende de deux francs. En cas de récidive, voir l’article 5.

-art 8 : Tout compagnon, aspirant, ou indépendant, qui aura des plaintes ou réclamations à faire, devra s’adresser par lettre signée de lui, avec son adresse, au siège social

-art 9 : Tout compagnon, aspirant ou indépendant, refusant d’aller travailler lorsqu’il sera désigné, sera à l’amende de deux francs, quel que soit le motif de son refus. En cas de récidive, voir l’article 5.

-art 10 : Pour éviter toute ingérence de camaraderie ou de passe-droit, pour toute infraction commise en ce qui concerne le présent règlement, les compagnons en place chez la mère ou l’infraction aura lieu, seront à l’amende de deux francs chacun.

Fait à Paris le 18 juin 1878.

La commission du travail :

Berry l’Ami du Devoir (non identifié)

Saumur Plein d’>honneur (Constant BOUTIN, 54 ans)

Agenais la Clef des Coeurs (DUDILLOT, Age inconnu)

Toulousain l’Ami du Droit (Auguste ROMULUS, 42 ans)

Parisien l’Ami du Progrès (François Joseph BORHAUER, 28 ans)

Nantais le Bien Estimé (Jean HAUMONT, 21 ans)

Tourangeau la Belle Prestance (Auguste CHETOUT, 40 ans)

Tourangeau le Bien aimé (non identifié)

Vendôme le Fier Courageux (Pierre LUCAS, 49 ans)

Lorientais la Bonne Conduite (Louis DEZAMEAU, 34 ans)

Saintonge Bel Exemple (François LABARRE, 53 ans)

Dijonnais l’Ami des Coeurs (Jules PERRON, 43 ans)

Pour l’assemblée générale :

Vendéen la Vertu P.’.E.’.V.’. (Achille ROUSSET, 38 ans)

Quimper l’Humanité S.’.E.’.V.’. (François ASCOUET, 38 ans)

Mâconnais le Soutien de la Canne R.’. (Dominique CHAPUIS, 21 ans)

Nivernais Plein d’Honneur, Secrétaire (Auguste BERTHAULT, 32 ans)

 

Vingt petites mères auraient été ouvertes à cette date, ont été identifiés à ce jour :

En octobre 1877, publiées dans le journal « Le Petit Parisien » du 1 octobre 1877 :

Mme LEGALL, 59 rue Jean-Jacques Rousseau (siège social)

Mme AYRAULT, 29 rue des boulangers.

Mme SEUX, 184 rue du Château.

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En 1880, Mme SOUCHET, 6 rue des Écoles (Square Monge), en 1890, même adresse, Mr et Mme LAVIOLETTE (un nommé Gustave LAVIOLETTE, Picard l’Ami du Courage est reçu à Paris lors de la Saint-Honoré 1884, est le même ou un membre de la famille ?…).

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En 1880, Mme CRUCHET, 6 Bd. de Belleville, puis à la même adresse, Mme BOR, à partir de janvier 1882, Mme LEMONEL, 17 Bd. de Belleville.

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En 1880, Mme BRIENS, 28 rue de la Goutte d’Or (se trouve vers le haut de la rue à gauche, bâtiment détruit)

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En 1880, Mr LECRIVAIN, 93 Bd Diderot.

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En 1880, Mme MOIROUD, 14 rue Lamartine.

En septembre 1881, ouverture de la 10e petite mère de Paris, le Compagnon boulanger du Devoir Theodore ARCHAMBEAU, Rochelais la tranquillité, 135 rue du Faubourg Saint-Denis (Exclu à vie le 1 février 1887 par la Cayenne de Paris pour avoir formellement manque à ses engagements sur papier timbre et avoir porte préjudice à la société -livre de punition Bordeaux)

En 1904 :

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« A la Marquise d’or » chez Mme PRADEL, 4 rue de la Réale, probablement l’établissement qui a le store de baissé sur le trottoir de droite. Construite en 1210, la rue de Réale (1er), aujourd’hui disparue, allait des Halles Centrales (dans le prolongement de la rue Baltard) à la rue de Turbigo. Elle s’appela aussi rue Royale à cause d’une enseigne d’une galère royale.

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Café, Vins, Liqueurs “La Grille”, tenue par Mme DURAND, 70 rue Mouffetard.

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Mme VIARD, 35 rue des Panoyaux, les immeubles de cette rue ont été en grande partie détruits, mais il semblerait que les numéros 30 à 50 correspondent à cette carte postale.

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En 1887, Mr et Mme LEBLANC, 32 Av. d’Orléans, en 1890, Mr PROVET et en 1904, Mme DUTHE, 45 avenue d’Orléans « A la Comète de 1811 » à droite sur cette photographie.

Le nom « A la comète de 1811 » n’a aucun rapport avec la date « traditionnelle » de fondation des Compagnons boulangers du Devoir, mais avec une comète découverte cette année-là, (Wikipédia) les caractéristiques extrêmement spectaculaires de cette comète ont profondément marqué les contemporains. Sa conjonction avec une vague de chaleur inédite a suscité des inquiétudes de fin du monde, dont on trouve des échos dans la littérature de l’époque, même beaucoup plus tard, et dans des ouvrages aussi inattendus que par exemple la « Physiologie du goût » de Brillat-Savarin, pourtant publiée seulement en 1825, soit 14 ans plus tard.

Corrélativement, 1811 est une année viticole exceptionnelle. Le passage de la comète au périhélie coïncidant avec la période des vendanges, plusieurs vins sont baptisés Vin de la Comète. Le dessin d’une étoile chevelue apparaît sur les bouchons et les étiquettes des bouteilles de Champagne, et comme nous le voyons sur cette façade.

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Mme GRAVETEAU, 73 rue de la Reine (Boulogne-Billancourt)

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Petite mère de très certainement à Montreuil (vers 1905 1906), chez BARDON, Poitevin plein d’honneur, Compagnon boulanger et son épouse. Inscription sur la vitre de gauche : « Au Rendez-vous des Compagnons Boulangers, 2e Succursale, Placement Gratuit »

Les petites mères sont une particularité de la capitale, dans aucunes autres villes en France nous trouvons cette pratique. Il semblerait qu’elles aient disparus avant la guerre 1914, en effet, à ce jour, nous n’avons trouvé aucune trace d’activité de ce genre entre les deux guerres, lors de cette dernière période, nous trouvons uniquement un siège pour toute la capitale.

Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D

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