Les meilleurs pains au XVIIIème siècle

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En replongeant pour la …nième fois dans la lecture des livres professionnels anciens, il arrive que l’on découvre ce qu’il nous était pas possible de découvrir en première lecture.

Et je dirais que c’est intéressant à l’heure où la panification sans additif est recherchée, d’aller voir la pratique à l’heure où les additifs n’existaient pas.

Je relève ici quelques recettes, plutôt des procédés qu’un catalogue chiffré d’ingrédients évidemment. Pour la panification, c’est souvent le cas.

I. – Le pain de Mr. LE NOBLE – Malouin, p.266

Lorsque Paul Jacques Malouin écrit son livre en 1763, il résume, p. 320 de son Art du boulanger, les limites et la ligne rédactionnelle; « M’étant appliqué depuis plusieurs années à apprendre la boulangerie et tout ce qui appartient à cet Art, j’ai acquis par mes recherches des connaissances dont je fais rapport ici…. J’ai seulement l’intention de m’acquitter de ce dont je suis chargé, qui est de donner à l’Académie – des Sciences- , la description de l’Art du boulanger ».

Antoine Parmentier qui le suivra dans l’édition de livre sur la panification, critiquera (p. XVIII) avec la délicatesse du XVIIIème siècle, le fait que P.J. Malouin  » a été forcé de se servir des yeux d’autrui pour se conduire » et que « par son état et ses places » (il était docteur à la cour) il n’a pu que « consacrer par jour, quelques heures de suite à l’étude de cet Art ».Les-meilleurs-pains-au-XVIIIeme siecle

C’est pourquoi, on peut trouver dans l’ouvrage de P.J.Malouin de très belles descriptions boulangères de l’époque.

Cela devient précieux pour moi lorsqu’il écrit; … »Il y avait à Poissy, un fameux boulanger ».

C’est presque comme « il était une fois… », un conte pour boulanger.

Grattons un peu plus et soumettons-nous un temps à notre curiosité !

Ce boulanger de Poissy était « nommé Monsieur Le Noble » et « mettait huit heures à faire chaque fournée, parce qu’il bassinait parfaitement la pâte. »

Sa pâte était ensemencé sur 3 rafraîchis, « à l’ordinaire » dit P.J.Malouin.

Le dernier rafraîchi, toujours dénommé « le tout-point » est très grand, ce levain faisait deux tiers de la pâte qu’il composait.

Il « l’employait jeune d’une demi heure ».

Lorsqu’il manipulait à nouveau le levain tout-point pour la pâte finale, « on pouvait l’allonger en espèces de ruban, il était difficile à dissoudre, il fallait le délayer à petite eau d’abord ». C’est ce que l’on appelle dans le pétrissage manuel, la phase « délayage ».

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Ensuite, « Monsieur Le Noble donnait quatre tours à la pâte, qu’il faisait ferme, dût-elle servir pour faire du pain mollet » et puis après ce frasage et contre-frasage, le bassinage.

« Il jetait sur cette pâte, un grand demi-seau d’eau » (soit ± 12 litres).

« Il découpait cette pâte qui était d’environ 200 livres » (± 98 kgs.) « pour y faire entrer la farine ». Et oui, le bassinage était aussi bien un ajout d’eau que de farine à l’époque.

« Il redonnait encore quatre tours, ce qui faisait douze tours qu’il donnait à la pâte, pour chaque fournée ». Un tour à la pâte consiste dans le pétrissage manuel

à couper la pâte en plaçant les mains sous celle-ci la tirant, la retournant, on jette dans le pétrin (ou maie) de gros pâtons de gauche à droite puis de droite à gauche de l’outil (maie).

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Extrait de « Le pain par Poilâne », éd. du Cherche-Midi, 2005

« Il la (la pâte) laissait lever longtemps, lui donnait deux heures à prendre levain avant de la mettre en pain »

« Il laissait aussi les pains, deux heures à prendre leurs apprêts, ce qui ensemble faisait environ huit heures »

« La bonté du pain qui en résultait dédommageait bien du temps et du travail qu’on employait à le faire »

« Il vendait son pain plus cher et cela était juste »

II.-Le petit-pain au lait de Monsieur BOUILLARD, Malouin, p. 287 à 289

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On continue à explorer les recettes du XVIIIème siècle, grâce aux détails que Paul-Jacques MALOUIN nous livre en 1767.

Aujourd’hui, avec cette recette, on est dans la catégorie de pain de luxe, qui se consomme au XVIIIème siècle en bonne compagnie avec une tasse de café.

C’est un pain au lait, qui se rapproche d’un petit pain brioché en tout cas de fantaisie et nous voyagerons jusqu’à la Cour de la Reine.

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Laissons la parole à Paul Jacques MALOUIN

« Monsieur Bouillard, boulanger de la Reine a eu la plus grande vogue à la Cour pour le pain à café. »

« On croyait que la bonté de ce pain à café de ce boulanger venait du choix qu’il faisait du beurre qu’il employait. »

« Il m’apprit confidentiellement qu’il n’en mettait point du tout. »

« Il est actuellement retiré du monde, il m’a communiqué sa manière de faire le petit pain à café pour la rendre publique dans cette description de l’Art de la Boulangerie ».

« Là voici. »

« Pour faire ces pains de fantaisie, on prend la meilleure farine qui est celle de gruau, on la répand dans le fond du pétrin, à un des bouts duquel, où l’on fait la fontaine. »

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Après avoir été étonné, P.J.MALOUIN veut ébahir à son tour

« Pour faire du pain à café, il n’est pas nécessaire d’y mettre du beurre, au contraire, il est mieux de n’y pas en mettre et de le pétrir avec du lait sans eau », écrit’il avant de donner la recette.

« Il délayait levure et sel dans du lait chaud, sans eau. »

« Il ne prenait d’abord que les deux tiers de tout le lait qu’il avait à employer. »

« Ensuite, il pétrissait toute la farine dans cette partie du lait. »

« Il travaillait la pâte plus qu’on ne fait ordinairement pour ces petits pains et il l’a mettait toute en levain, qui levait d’autant mieux qu’elle était moins molle que si on y avait employé d’abord tout le lait à la faire. »

« C’était la partie crémeuse du lait qu’il réservait pour la dernière. »

« Quand il était prêt à composer son petit pain, il ôtait la partie supérieure du lait sur lequel la crème s’était amassée depuis sept ou huit heures que le lait avait été tiré. »

« Monsieur Bouillard gardait le lait dans un vaisseau légèrement couvert d’un linge clair, depuis environ six heures du soir qu’il le recevait, jusqu’à ce qu’il pétrit sur les deux heure après minuit. »Les-meilleurs-pains-au-XVIIIeme siecle

Ce plat évasé dispose parfois une ouverture bouchonnée à son point le plus bas.

Comme la crème du lait monte à la surface, il était utilisé pour séparer le lait de la crème.

« Une demi-heure ou trois-quarts d’heure après avoir pétri, il délayait dans le reste du lait, cette pâte levée et il formait les petits-pains. »

« Dès qu’ils commençaient à lever, ils les enfournaient sans les laisser prendre plus d’apprêt. »

« La chaleur du four achevait de les faire lever et elle en faisait ressortir pour ainsi dire, la crème, qui, mise à la fin tient lieu de beurre et convient mieux. »

« La cuisson donne meilleur goût au lait, que ne peut lui donner la fermentation. »

« C’est pourquoi, il est mieux de ne pas mettre tout le lait à fermenter avec la levure. »

« D’ailleurs il y a dans cette méthode de Monsieur Bouillard l’avantage d’adoucir la pâte en la bassinant et en la repétrissant avec le tiers restant du lait. »

« Suivant cette méthode les pains à café ont meilleur goût et plus d’apparence. »

« Ces pains font trois onces et demi, – soit: +/- 100 gr.- chaque pains et ont plus de volume, que n’en ont les pains de quatre onces, faits à l’ordinaire. »

« La chaleur du four doit être forte pour cuire à propos cette sorte de pains. »

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III.- Le pain de munition du Boulanger MARTIN,

P.J.Malouin, p. 237-238 et 294-295

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Paul Jacques Malouin au temps

où il fait ses preuves comme docteur.

Après un pain bien bichonnéau niveau procédé et un pain fait à la Cour, voici le pain du militaire.

Voir P.J. Malouin, dans L’Art de la boulengerie, 1767, p.237-238 et 294-295.

C’est autre chose, on est avec un discours limité à l’essentiel.

Il faut procurer par le pain, de la subsistance et de la force, on n’est pas en train de faire « fine bouche ».

Le pain de munition est appelé ainsi parce que l’armée est munit d’une mission qui s’en va en guerre.

Ce n’est plus le champ de blé, c’est plus souvent le champ de bataille et il faut être en mesure de la gagner.

En France à ce temps-là, le pain de munition est composé de farine intégrale de froment (2/3) et de farine intégrale de seigle (1/3).

En Allemagne uniquement de farine intégrale de seigle.

En Italie, uniquement de froment, typo integrale, mais est en plus petites quantités dans la ration du militaire italien que dans la gamelle du soldat français où le pain faisait 24 onces cuit ( soit+/- 734 gr.) par jour écrit P.J.Malouin.

A deux reprises lors du XVIIIème siècle, (en 1727 et en 1764) on proposa de bluter légèrement (5%) la farine intégrale, pour le pain de munition, ce fut rejeté et « l’on resta dans l’usage de ne point faire bluter la farine pour le pain de munition »

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Le docteur Malouin nous relate: « L’expérience qui a été faite en 1726, par ordre du Ministre de la Guerre, auquel un nommé Vieilh présenta un mémoire contenant qu’il a trouvé un ancien boulanger d’armée, lequel avait le secret de fabriquer du pain de munition qui pouvait se conserver quinze jours au plus fort de l’été. »

« Ce boulanger se nommait Martin. »

« Le 17 novembre, il prit à l’Hôtel des Invalides le levain et la farine nécessaire pour faire son épreuve. »

« Savoir, trente six livres de farine de froment & dix huit livres de farine de seigle sans en avoir ôté le son ».

« Ce qui produit quatre-vingt neuf livres de pâte au moyen de trente livres d’eau qui ont été ajoutées. »

« Lesquelles quatre-vingt neuf livres de pâte se sont trouvées réduites après la cuisson à soixante dix sept livres et demi de pain. »

Soit une hydratation de +/- 65 %.

« La manoeuvre du boulanger nommé Martin n’a rien, dit le procès verbal rapporté dans le Traité des subsistances militaires, qu’une attention très grande à bien pétrir et à manier la pâte. »

« Et l’on fait remarquer que ce boulanger employait à la faire le double du temps ordinaire. »

« Le commissaire convient lui-même dans son procès-verbal que le pain qui en résulta paru être au bout de quinze jours, plus frais et de meilleur goût que n’a de coutume d’être le cinq ou sixième jour, le pain de munition de la fabrication ordinaire de l’Hôtel des Invalides. »

« Mais, verdict du rapport, la peine et le temps qu’il fallait pour cela, empêcha d’admettre cette pratique. ».

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Là voilà « démobilisée » ou « réformée direct », cette méthode de bien pétrir la pâte que P.J.Malouin s’enquiert pourtant de démontrer.

Il écrit à la suite de cet exemple de panification du boulanger Martin.

« A Paris on fait dépendre la bonté du pain plus des levains que du travail.

Il y a des pays où l’on ne met pour faire la pâte, ni assez de levain, ni assez de travail, comme on fait dans les pays où l’on n’emploi que de la levure.

Ce qui n’est pas étonnant, parce qu’il faut bien composer la pâte et pour faire de bon pain, que la pâte soit suffisamment travaillée et par les levains et par les bras.

Le pain a un gout sur de levain lorsqu’on n’en a préparé la pâte que par le levain presque.

Et au contraire le pain est sans gout et il est fade lorsqu’on fait consister presque toute la préparation de la pâte, à la beaucoup travailler. »

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IV. Le pain aux gruaux

Arpin, p.80 à 88 et 230

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Nous avons déjà pu voir les procédés des boulangers Le Noble de Poissy, Les pains à café de Monsieur Bouillard à Versailles, Cour de Reine, le boulanger Martin à l’armée.

Voici le pain du boulanger de Nangis, Monsieur Marin qui fait le meilleur de sa région (Seine et Marne).

Ce pain était composé de gruau, mais pas gruau avec le sens que nous lui connaissons aujourd’hui.

C’est plutôt dans le sens premier et étymologique du terme; c’est à dire « grossièrement moulu ».

Nous sommes encore au temps où la mouture sur meules est la seule présente.

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De plus, on sort à peine du devoir d’aller moudre au moulin banal et comme l’exprime A.A.Parmentier; »Au moulin banal, on y moud toujours mal. »

Antoine A.Parmentier (comme beaucoup de réformateurs à l’époque) mène campagne pour une meilleure efficacité des moulins qui ne sortait que 50 % de farine hors du grain, c’est peu par rapport au 75 % d’aujourd’hui.

Attention farine s’entend farine blanche ou fleur à l’époque, le 50 % restant n’est plus farine, ce sont « les sons gras ».

Il faut dire qu’une ordonnance de novembre 1546 interdisait de remoudre les «sons gras».

Les «sons gras», c’était donc, les plus grosses particules issues du grain où sont assez fortement liés «les gruaux» et le son (enveloppe du grain).

Ces «sons gras» sont considérés dans des statuts de boulangers de 1558, comme «indigne d’entrer au corps humain» et il était interdit d’en faire du pain sous peine d’amende.

Bien sur, il n’était pas interdit de faire du pain avec l’intégralité du grain (100%), farine fleur avec les « sons gras » et aboutir au pain dit des pauvres dit aussi pain bis ou pain de brode ou encore de munition.

Dans l’interdiction, il n’est question que de servir les « sons gras » résiduels en tant que farine pour en faire du pain.

Quoiqu’il en soit, on perdait ainsi les gruaux, c’est à dire les meilleures parties de l’amande farineuse du grain de blé, l’alimentation humaine n’en profitait pas de cette partie où se localise le germe et la couche d’aleurone.

Bien sur, on ne dénommait pas encore couche d’aleurone ou assise protéique la couche périphérique de l’amande farineuse, mais on savait « que ces gruaux sont au pain, ce que la crème est au lait, que l’un et l’autre perdent infiniment de leurs qualités quand ces produits en sont séparés ».

Cependant décrit Marcel Arpin, dès le XVIème siècle, bravant l’interdiction, quelques boulangers se procuraient des « sons gras » qu’ils repassaient parfois sous les meules afin « d’obtenir une très bonne farine qui leur servait à améliorer la farine ordinaire avec laquelle ils faisaient du pain blanc. »

P.S. Malisset, qui a été meunier aux environs de Meaux, raconte qu’un « boulanger de Nangis, nommé Marin, avait la réputation de faire le meilleur pain de sa région, et cela sans acheter de blé, ni de farine », disait-il.

« Il se servait uniquement de sons gras qu’il blutait, sassait, faisait moudre les gruaux qu’il obtenait ainsi, et la farine qu’il en retirait lui servait a faire son pain qui remportait tant de succès dans son pays ».

Voici l’explication schématisée de cette pratique où l’on remarque que le blutoir en forme de tambour laisse passer entre ces mailles toujours plus écartées les fines particules de farine. Dans le second blutoir on repasse après une remoulage des sons gras et l’on sépare les gruaux les plus blancs des remoulures plus pigmentées de son.

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Les diverses mailles laissant passer la farine et retenant le restant.

Pas de farine, mais une extraction de ce qu’il en demeurait dans les « sons gras » qui rappelons-le, faisait 50 % du résultat de la « mouture à la grosse » sur une seule passage des grains de blé sous la meule.

Le plus souvent, comme pour le fameux pain de Gonesse, on laissait le farine blanche et les « sons gras » un temps reposé ensemble et le son se détachait mieux des gruaux.

C’est une pratique fort usitée dans le Sud de la France au point que on appelait cela la « mouture méridionale ».

Ci dessous, l’on voit des sasseurs et des sas, Le sassage tamise également mais joue aussi sur la densité et emploi la ventilation pour séparer.

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Une piqûre de rappel historique du blutage grâce à une planche du livre de Malouin, permet peut-être de mieux reconstituer ce pain de gruau, produit plus issu d’un choix de meunerie que de boulangerie.

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Marc Dewalque

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