Le premier Compagnon pâtissier.

Il me semble intéressant aujourd’hui de présenter cette petite étude ayant pour titre : « Le premier Compagnon pâtissier, le connaissons-nous ? ». En effet, plusieurs versions existent à ce sujet et il me parait indispensable de faire définitivement la lumière, en présentant les faits objectivement et chronologiquement.

Commençons tout d’abord par nous poser la question de savoir si les Compagnons du Devoir sont les premiers à intégrer le métier de pâtissier dans le Compagnonnage ? La réponse est non !

En effet, lors de son congrès de septembre 1899 à Toulouse, l’Union Compagnonnique (à laquelle a adhéré une partie des Compagnons boulangers du Devoir) décide de confier aux Compagnons de Nantes le soin de rédiger la liste des groupes d’activités la composant. Cette liste est établie conformément aux décisions du congrès : le premier groupe se compose du groupe alimentaire et, après les boulangers, y sont associés comme « parties similaires » les pâtissiers, les fouaciers et les cuisiniers.

Six mois après, en mars 1900, le premier Aspirant cuisinier, le Pays Joubert Augustin, est inscrit à la Cayenne de l’Union Compagnonnique de Valence ; il sera reçu dans cette même ville le 1er décembre 1900 sous le nom de « Dauphiné l’estimable ». Le premier pâtissier va suivre rapidement : à Agen, l’aspirant Maufreron Pierre, « Angoumois », est inscrit le 9 février 1901. Mais le premier Compagnon pâtissier des Devoirs Unis sera le Pays Douzeaud, « Périgord le bien dévoué », reçu à Périgueux le 27 mai 1902 (inscrit Aspirant à Périgueux le 28 mai 1901).

Pendant ce temps, les Compagnons boulangers du Devoir, société plus traditionaliste que l’Union Compagnonnique – qui lors de cette période va de réforme en réforme -, reste sur sa composante exclusive de boulangers… Il faut attendre presque 20 ans pour voir apparaître dans la presse compagnonnique du Devoir, l’idée de recevoir des pâtissiers. Mais pas uniquement des pâtissiers d’ailleurs : on évoque aussi des bouchers, des meuniers, des cuisiniers ! Lisons cet extrait d’un article écrit par le Pays Magnan, « Angoumois l’exemple de la justice », CBDD, publié dans le journal Le Ralliement du 1er octobre 1919 :

« Aux C.’.C.’. du T.’.D.’.F.’.
Si ce siècle voit enfin proclamée la suprématie du Devoir dans la classe ouvrière, si bientôt la plus laborieuse partie du prolétariat, le compagnonnage, porte dans les corporations le flambeau de la lumière, si même nous avons d’ici peu des Compagnons bouchers, des pâtissiers, des meuniers, des cuisiniers et autres corps d’état de l’alimentation, nous le devrons incontestablement aux Compagnons boulangers. Ce sont eux, en effet, qui ont le plus développé l’initiation depuis la fin de la guerre. Troyes a fait réception à l’Assomption, et va prochainement initier d’autres aspirants au grade de compagnon, Paris, pour la Toussaint, également se propose de présenter plus d’une douzaine de néophytes ; Bordeaux a le plus grand désir qu’il en soit de même. Les cayennes des bords de la Charente vont se réveiller et celles des rives de la Loire le sont déjà. Les jeunes Compagnons frais émoulus de leur cayenne mère, ne vont pas craindre de parcourir le tour de France, de cayenne en cayenne, tous, si remplis de distinction, ne craindront pas le ridicule car ils savent que c’est pour eux un apostolat, celui de faire triompher le Devoir quelque peu oublié, bien forcément, par ceux qui furent les soldats invincibles, qui, pendant cinq longues années, tinrent en respect la barbarie et la dévastation… »

En 1921, sous l’impulsion de ce même Pays Magnan, a lieu une scission chez les Compagnons boulangers du Devoir. Une nouvelle société voit le jour, intitulée « Compagnons boulangers et assimilés du Devoir, dit « Les enfants de la vérité » RFAD ». Nous voyons dans l’emploi du terme  « assimilés » la volonté d’introduire différents métiers de l’alimentation. Nous manquons à ce jour d’archives pour pouvoir affirmer si des pâtissiers furent alors reçus dans cette société, qui s’éteindra quelques années plus tard.

À partir de 1930 apparaissent dans cette même presse compagnonnique quelques articles écrits, non pas par des Compagnons à titre individuel, mais signés « la rédaction » et présentant les pâtissiers comme de véritables artistes, encourageant les Compagnons boulangers du Devoir à les parrainer. À force de la pression passive qu’exerce la répétition de ces articles, l’idée fait son chemin et c’est au congrès de Lyon, en 1934, que l’admission du métier de pâtissier est officiellement présentée par le Pays Lucien Bernard Larché, dit « Champagne la bonne résistance », Père des Compagnons boulangers du Devoir de notre 16ᵉ cayenne, Troyes.

Le 24 février 1936, le Conseil Confédéral de la Confédération Compagnonnique (Salomon, Jacques, Soubise), puissant et influent groupement auquel appartenaient de très nombreux Compagnons boulangers du Devoir, est sollicité par les Compagnons boulangers afin de connaitre sa position. Celui-ci donna son approbation à l’unanimité et sans réserve, ne voyant que prospérité et vitalité à admettre les pâtissiers.

Lors du congrès des rites à Blois le 14 août 1936, l’idée était acquise, mais il restait encore à travailler et, surtout, à préparer les autres corporations du Devoir à l’entrée de ce nouveau métier dans le compagnonnage du Devoir. En avril 1938 a lieu à Paris un congrès inter-compagnonnique ; le délégué des Compagnons boulangers fait part des intentions de recevoir les pâtissiers : les avis sont favorables.

Le Pays Michel est reçu le jour de la Saint-Honoré 1938 à Paris, sous le nom de « Normand l’ami des arts ». C’est le tout premier pâtissier à être reçu Compagnon. La société ne comportant pas encore dans son intitulé le nom « Compagnon pâtissier », celui-ci sera enregistré dans le Grand Livre de Réception de la cayenne de Paris, sa ville de réception, sous la mention de Compagnon boulanger.

À noter que le Pays Michel avait un frère qui était Compagnon charpentier du Devoir de Liberté : Albert Michel, « Normand va sans crainte », reçu à la Saint-Joseph 1930, MOF 1933. (Ci-contre, photographie du Pays Michel lors de la Saint-Honoré de Paris en 1970)

Étant donné ce début de réception de pâtissiers, le changement de nom de la société s’impose et c’est au congrès de Troyes, les 8 et 9 avril 1939, que celui-ci est voté à l’unanimité. La société prend alors le nom d’« Association professionnelle et philanthropique des Compagnons et Aspirants boulangers et pâtissiers du Devoir du Tour de France ». Il est donc faux de prétendre et d’affirmer que ce congrès de 1939 décida l’adhésion des pâtissiers dans le Devoir, ce congrès ne votant qu’un changement de nom de la société.

Congrès des CBDD à Troyes en 1939.

Puis c’est la guerre… Les troupes allemandes déferlent sur la France… Malgré tout, les CBPDD continuent d’avoir une activité, et Tours, Paris et Troyes continuent même de faire des réceptions et cela jusqu’en 1943.

1944 : les Alliés débarquent, les combats sont rudes, le temps des réceptions est passé…

Il faut attendre Pâques 1947, à Nîmes, pour voir un second pâtissier reçu Compagnon, le Pays Isnard, « Languedoc la bonne conduite ». Suite au congrès de Troyes, ce compagnon prend forcément le titre de Compagnon pâtissier lors de sa réception, et il est inscrit dans le Grand Livre de Réception de la cayenne de Paris comme Compagnon pâtissier.

En 1955, au 5ᵉ congrès quinquennal de Bordeaux, il est voté à l’unanimité l’intégration des cuisiniers. Il est décidé que cette décision sera présentée aux Assises du compagnonnage du Devoir sous forme de vœu. Lors de cette décision, le compagnon Papineau, « Blois l’ami du travail », engage les Compagnons boulangers et pâtissiers à nouer des liens avec les Compagnons cuisiniers de l’Union Compagnonnique afin de faire « connaissance » avec cette profession. Ce souhait d’intégration des cuisiniers n’aura pas de suite.

Pour conclure cette étude et répondre précisément au titre de celle-ci – le premier Compagnon pâtissier, le connaissons-nous ? – voici les faits en résumé :

– Le premier compagnon pâtissier dans le compagnonnage est le Pays Douzeaud, « Périgord le bien dévoué », Compagnon pâtissier des Devoirs Unis, reçu à Périgueux le 27 mai 1902.

– Le premier Compagnon pâtissier du Devoir est le Pays Michel, « Normand l’ami des arts », reçu à la Saint-Honoré 1938 à Paris.

Rendons à César ce qui est à César…

Laurent Bourcier, Picard la fidélité C.P.R.F.A.D.

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