La Saint Honoré de 1858 à la Chapelle Saint-Denis

L’hebdomadaire Le Monde illustré n° 59 du 29 mai 1858 relate, p. 347, le banquet patronal des boulangers de la banlieue de Paris en des termes pleins d’admiration et en même temps avec un peu de condescendance envers ces braves gens…

« BANQUET PATRONAL DES BOULANGERS DE LA BANLIEUE DE PARIS

Le caractère des anciens corps d’états était d’affecter des marques distinctives, converties fréquemment en privilèges ; qui des écharpes, qui des cannes, qui des rubans et des sautoirs. Cet amour des distinctions existe encore dans notre Europe septentrionale. On rapporte que, lors de l’entrée solennelle de la princesse royale Victoria d’Angleterre dans la ville de Berlin, le corps des bouchers, à qui le bourgmestre contestait le droit de porter l’épée, en référa au prince de Prusse, investi provisoirement des prérogatives de régent.

–  Dites-leur, répondit spirituellement le prince, que je les autorise même à porter des canons.

En France, nous sommes plus avancés ; toutes les corporations n’ont qu’une ambition, c’est de se fondre dans l’unité de la grande famille nationale, dont la classe bourgeoise forme le niveau général.

Si vous eussiez assisté au banquet où leur fête patronale réunit, le dimanche 16 mai, les boulangers de la banlieue de Paris, dans les vastes et somptueux salons des Vendanges de la Bourgogne, à La Chapelle Saint-Denis, vous auriez apprécié ce qu’a de frappant cette honorable tendance.

A voir cette foule, où abondaient des habits noirs, où le gant paille couvrait même bien des mains habituées au travail ; à consulter l’air ouvert, les manières franches et polies de cette assistance, rien n’indiquait que ces convives appartinssent plutôt aux classes industrielles qu’aux professions libérales. C’était, avec un peu plus d’agitation peut-être, la décence et la courtoisie d’un salon.

Et la conversation était presque partout en harmonie avec l’apparence : j’ai entendu un maître boulanger discuter une question spéciale avec une lucidité d’expression et une technicité de termes scientifiques qui eussent fait honneur à un professeur, et, ce qui ne me surprit pas moins, un de ces messieurs lancer une citation d’Horace, avec un à-propos qu’eût envié Jules Janin.

On peut se convaincre, en jetant un coup d’œil sur notre gravure, que l’élégance du service ne dérogea pas à l’honorabilité du personnel de ce banquet. »

L’article, signé Mac’ Vernoll (un probable pseudonyme), est révélateur de la perception du monde des travailleurs, des ouvriers, des artisans, par les journalistes de la presse conservatrice du second Empire. Il est surpris de ne voir que des boulangers bien habillés, l’air ouvert, polis, francs, aux bonnes manières, décents et courtois « presque comme dans un salon ». Il s’étonne aussi d’y rencontrer des gens qui expriment clairement leurs idées sur des sujets pointus et qui connaissent même des citations de poètes antiques.

Cette Saint-Honoré n’était probablement pas une fête compagnonnique. Elle a dû réunir les patrons boulangers de la banlieue de Paris, comme d’autres corps de métiers fêtaient la St-Eloi ou l’Ascension.
La fête a eu lieu à La Chapelle-Saint-Denis, ancienne commune périphérique de Paris, absorbée par la capitale pour constituer le XVIIIe arrondissement. Jusqu’au milieu du siècle elle compta de nombreux moulins, avant de devenir un quartier industriel.

La gravure permet d’évaluer à près de 80 le nombre de convives. Des hommes seulement. Aucun n’est revêtu de couleurs, écharpes ou autres insignes. Il n’y en a pas davantage sur les murs de la grande salle.
En revanche, le banquet se déroule sous l’œil vigilant de Napoléon III et les écussons portent mention des lettres NE, qui signifient Napoléon et Eugénie, les prénoms de l’empereur et de son épouse… à défaut de saint Honoré.

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