Saint Honoré Blois 1893

sthoblois1893

La Saint Honoré de 1893 par un ami des compagnons, journal « l’Avenir », 21 mai 1893.

« Mardi dernier, je passai rue Denis Papin et place du Marché Neuf, vers onze heures du matin. Je fus tout surpris de voir une foule nombreuse stationner en face d’un petit restaurant portent pour enseigne “A LA JEUNE FRANCE” . Je demandais à l’un des spectateurs la cause de ce rassemblement, il me répondit, :” Mais vous ne savez donc pas, mais c’est la fête des boulangers, la Saint-Honoré “

Je m’approchai un peu pour considérer ce qui allait se passer, car il y avait à la porte du restaurant un frais et joli bouquet orné des couleurs le plus vif. Il y avait le bon nombre d’ouvriers en tenue de fête, gants blancs longues cannes de jonc et de charmantes et riches couleurs décorant leurs boutonnières. Je vis avec plaisir que c’était des compagnons du devoir. J’ai toujours aimé cette société .


Ces messieurs nous firent reculer de quelques pas pour procéder à la pause du bouquet, alors deux dignitaires se placèrent vis-à-vis l’un de l’autre. Un autre compagnon apporta un demi-litre de vin, puis deux verres qui déposa à terre. Entre deux cannes placées en croix, prenant le flacon d’une main, il se met a gémir d’une certaine façon et verse du vin dans les deux verres qu’ils présentent aux deux dignitaires toujours en gémissant. Ces derniers boivent quelques gorgés du précieux liquide, plusieurs fois en m’entrecroisant les bras, puis arrosent le bouquet avec ce qui reste dans leurs verres et le flacon, et brisent le tout sous la table.

Au même instant, le bouquet est hissé et attaché à la fenêtre, pendant cette cérémonie la musique nous fait entendre ses joyeux sons. Puisque j’ai tant fait, me dis-je, et que j’ai le temps, je veux voir la cérémonie jusqu’au bout !
Un superbe landau est à la porte. Les cloches de la cathédrale sonnent à toutes volés aussi chacun s’empresse d’arriver pour former le cortège.

Agréable surprise, voici une jeune dame, parée d’une fraiche couleur blanche portée en sautoir et porte un joli bouquet à la main. Elle avance gracieuse et souriante, accompagnée du premier compagnon sans doute.
Ils montent dans la voiture. Si j’en crois mes yeux, cette jolie dame doit être la Mère des compagnons boulangers. Une charmante demoiselle prend place à ses côtés, on nous dit que c’est la quêteuse, elle porte aussi un joli bouquet. Une longue file de compagnons et d’aspirants ornés de bouquet d’immortelles, suivent en bon ordre le landau de la jeune Mère. Il y a aussi dans la voiture un tout petit garçonnet avec sa canne et ses couleurs, c’est à ce qu’il paraît, un jeune compagnon en herbe, qui paraît tout joyeux, son papa ne doit pas être bien loin de lui.
 

Le cortège se met en marche au son d’une joyeuse fanfare. Le soleil est de la partie, il embellit par son éclat ces flots de couleurs multicolores.
À la cathédrale, il y a déjà nombreuses assistances, nous y avons constaté une belle tenue et le respect pour ce saint lieu. La quêteuse, conduite par un compagnon fait gracieusement le tour de la société, je souhaite la recette fructueuse.

Le pain bénit offert par les compagnons est excellent. L’office est terminé, et le cortège retourne au siège de la société, en parcourant les principales rues de notre cité, partout sur le parcours du cortège, les curieux abondent aux portes, fenêtres et balcons, pour voir passer ceux qui se consument pour nous fournir le premier aliment nécessaire à la vie.

Comme nous ne sommes pas habitués dans notre ville à voir ces sortes de démonstrations, tout le monde regarde avec curiosités et surprise. Nous avons remarqué que chaque côté de la voiture, près de la portière se tient un compagnon, un ancien surtout. Ce sont si je ne me trompe deux gardes d’honneur, il semble qu’ils sont placés là tout exprès pour protéger celle qui porte si gracieusement le titre de Mère au cas qui l’y ait quelques incidents. 

Mais voici le cortège arrive à son point de départ “La Jeune France “. Les compagnons forment le cercle, font de nouveau reculer la foule qui est presque compacte mais toujours sympathique aux compagnons du Devoir. Alors une cérémonie différente de celle de la pose du bouquet commence, d’ailleurs c’est le point d’attraction de tous les curieux.
Les mêmes dignitaires se placent comme précédemment, articulent les mêmes sons plaintifs, à plusieurs reprises s’approchent l’un de l’autre, s’enlacent, se parlent bas à l’oreille, tous les compagnons sont découverts, car nous avons entendu une voix autorisée sans doute, m’écrier :”Compagnons, chapeau bas”. Pour se dérober aux regards et oreilles indiscrètes, les deux compagnons, à chaque fois qu’ils se rapprochent l’un de l’autre, sont couverts par toutes les coiffures des amis; c’est vraiment curieux… Je remarque dans l’assistance beaucoup de gens aux airs moqueurs, soit dit en passant, ce ne sont pas les plus spirituels, d’autres rient sous cape, et moi, eh bien! J’observe sans parti pris, en pensant à ce qui peut bien ce dire a l’oreille. Je me dis : il faut vraiment que ce soit très sérieux car il y avait là des hommes de tout âges, jeunes et vieux, et puis le compagnonnage existe depuis des siècles et des siècles.

Enfin la cérémonie se termine, les deux dignitaires se demandent leurs noms de guerres ou de compagnonnage, ils le prononcent assez haut, car malgré la distance qui nous sépare, nous entendons ces mots. “Quel est ton nom ?” réponse:”Blois La Sagesse” et celui-ci demande à son tour ;”quel est le tien ?” et nous entendons distinctement: ”Blois La Fraternité” . Puis ils s’embrassent, et toute la société rentre dans l’établissement pour gouter le pain bénit et trinquer à la santé du grand Saint-Honoré, cérémonie curieuse dans son touchant mysticisme.

Quelques instants après, nous voyons de nouveau le landau repartir avec trois compagnons, un autre landau attend avec une corbeille bondée de brioches. Ils vont paraît-il, ces joyeux ouvriers, offrir à leurs patrons le traditionnel pain bénit. C’est une bien belle tradition, qui ne peut manquer d’entretenir la bonne harmonie entre le patron et l’ouvrier. Ne laisser pas tomber en désuétudes, braves compagnons.

Et vous patrons boulangers, ne soyez pas indiffèrent à cette marque de sympathie, accueillez avec joie vos modestes auxiliaires, qui entrent chez vous le sourire aux lèvres.
Faites que parts votre générosité, ils en sortent contents et la paix dans le Coeur .
Rien de beau, rien de grand comme cet usage antique.

Toutes les corporations devraient prendre pour exemple celle qui s’abrite sous la forme mystique, appelée Compagnons du Devoir, ainsi que la bannière de Saint-Honoré. Les autorités civiles et religieuses n’ont point été oublies : “Que les compagnons reçoivent ici, mes félicitations”.

On n’est pas Louis d’Or, … On ne plaît pas à tout le monde et les Compagnons du Devoir eux-mêmes ne sont pas à l’abri de la sottise.

A cela je leur dirai: ” Mes amis, laissez dire, et restez toujours unis !” »

Les deux Compagnons cités :

Blois la Sagesse : Louis Laumer LECLERC, Compagnon boulanger du Devoir reçu à Blois le jour de la Toussaint 1880.

Blois la Fraternité : Louis DEQUOY, Compagnon boulanger du Devoir reçu à l’Assomption 1861 à Agen.

Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.

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