L’émigration du blé

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A l’heure des transhumances d’été, faisons un voyage par l’écrit.
Et parlons du blé qui a bien voyagé aussi.

Si aujourd’hui, l’émigration se vit comme un drame, jetons un regard sur le passé.
Le marché actuel du blé (et du pain) a été positionné par certaines histoires que l’on a vraiment envie de raconter ou de se remémorer.

La recherche de la meilleure semaille de blé a conduit à pas mal de voyage et migration d’hommes et de semences.

Souvent chez ces migrants excellents ensemenceurs de blé, figurent presque emblématiquement des petites communautés religieuses superbement organisées.

Un des caractères de ces collectivités religieuses est la pratique de la non-violence et son refus du service militaire.

La vie à la campagne satisfait la détermination de l’une des plus connues de ces communautés, les Mennonites.

Mennonites

Couverture d’un livre retraçant le vécu d’une colonie de Mennonites

Ceux-ci arrivent à maintenir une vie simple en société fermée.

C’est le mode de vie rurale qui constitue un environnement favorable à la pérennité de leurs convictions religieuses.

En milieu urbain, ces communautés avaient tendance à exprimer plus fortement leurs opinions, ce qui donna rarement lieu à des attitudes terroristes et plus souvent à des persécutions. Et cela justifia un peu trop vite l’attribut de secte à ce type de rassemblements religieux.

Une des plus grandes communautés religieuses actives dans la migration du blé sont donc les Mennonites.
Ceux-ci voulaient vivre leur foi en refusant le service militaire et en n’acceptant que le baptême précédé d’une profession de foi personnelle.

La colonie est la forme de vie de prédilection des Mennonites.

Comme écrit précédemment, les gouvernements d’autrefois ne pouvant pas toujours faire allégeance aux volontés religieuses exprimées, persécutèrent les mennonites, mais parfois ils les invitèrent.

Qu’est ce qui peut faire qu’un gouvernement pouvait solliciter les Mennonites à venir sur leurs territoires ?

Expliquons cela par l’exemple historique.

«La Grande Catherine », tsarine de Russie (1729-1796) avait acquis beaucoup de terres en Ukraine, suite à sa première guerre contre les turcs en 1768.

Elle les proposa avec le privilège de la liberté religieuse et l’exemption du service militaire à des communautés mennonites venant de Prusse et d’Alsace.

Ainsi pour faciliter le développement des territoires gagné au «champ de bataille», l’on acceptait des «alliés» pour s’installer et cultiver notamment des champs de blé.

La proposition de la tsarine se veut alléchante puisque tout qui veut s’installer en Ukraine orientale, aura 60 hectares de terre par famille. Quatre milles familles Alsaciennes dont de nombreux mennonites partent en charriot jusqu’à Ulm et de là prennent le bateau pour descendre le Danube jusque Vienne et d’Autriche reprennent leurs charriots jusqu’aux «Tchermozens» (bonne terre noire et fertile d’Ukraine orientale) ou jusqu’à la Volga (fleuve qui se jette dans la mer Caspienne), où se créera même un telle concentration de germanophones qu’il exista une république autonome germanique de la Volga dans le début du XXème siècle.

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Ce privilège de liberté religieuse ne dura pas, les gouvernements russes suivants changèrent d’avis et les mennonites, appelés «deutsche soviets», durent reprendre la route et le bateau.
Ce nouvel exode les conduit au delà de l’Atlantique, aux nouvelles terres de l’Amérique, qui offrait la possibilité de vivre leur foi comme ils l’entendaient.

Ils emportèrent avec eux les graines qui aux Etats-Unis s’appelèrent «Turkey» du nom des régions conquises par les russes sur les turcs.  Ils réussirent grâce à elles à faire de régions importantes des Etats-Unis, des «Wheat Belt» (régions de blé).

Après lors de la guerre de sécession, l’enrôlement obligatoire au sud comme au nord provoqua un nouveau déplacement de population mennonites vers le Canada qui avait besoin de bras pour défricher les nouvelles terres et de ce fait accueilli ceux-ci.

Cet exemple de la communauté des Mennonites (dont les Amish actuels dérivent) n’est pas unique.
Si les Mennonites sont des chrétiens protestants, les Doukhobors et les Molokans ont fait le même trajet de contestation religieuse (par exemple; anti-militarisme) mais au sein, plutôt à l’extérieur de l’église orthodoxe russe.

L’un et l’autre communauté religieuse orthodoxe sont cités comme pourvoyeuses de semences de blé idéal.

Gérard Dicks Pellerin a-1640xl pc065135 10-02-04

Femmes Doukhobors à la récolte du blé

Source: A pictorial history of the Doukhobors by Koozma J. Tarasoff.

Les sites consacrés aux Doukhobors, qui signifie «lutteur de l’Esprit Saint»  commencent à fleurir depuis la mise à disposition des archives russes et compulsion de celles-ci début XXIèmesiècle.
Un livre de John Woodsworth (Des racines russes et des ailes canadiennes) retrace l’émigration de cette communauté religieuse et pacifique qui avait le soutien de Léon Tolstoï.
Sept mille cinq cents doukhobors sont venus s’établir au Canada en 1899, principalement au Saskatchewan.

C’est en 1670 que date la première mention du nom « Molokan » parce que des sujets russes ont ignoré les jours de jeûne en buvant du lait et se différenciant ainsi de la religion d’Etat.

Moloko signifie boire en russe, et les Molokans, majoritairement des paysans, reprirent pour eux, l’expression en l’interprétant comme « boire du lait spirituel de Dieu ».

Des Molokans  durent fuir le service militaire et l’exil en Sibérie qui en résultait.  Ils passèrent en Allemagne grâce à un service de contrebande. L’immigration de 30 personnes de cette communauté se fit en 1904 au départ de Kars (TR) et de Tbilissi-Tiflis (GE) depuis Batoum à Odessa et de là en train jusque Brême. L’American Lines of Hamburg et The North German Lloyd of Bremen qui, des ports de Hambourg et de Brême, étaient les mieux organisés (avec agents en activité dans les pays de l’Est), et les plus grandes compagnies dans le domaine pour l’émigration de l’Allemagne vers l’Amérique.

Mennonites, Doukhobors et Molokans, des communautés agricoles très organisées et forts habiles qui permirent des développements modèles et importants.

En Amérique, le blé en portera toujours leurs racines.

Sources:
– Brett.F. CARVER, Athur R.KLATT & Eugene KRENZER, U.S.Hard Winter Wheat Pool, –Fondement du froment résistant d’hiver des Etats-Unis, du livre World Wheat BookLe livre mondial du blé– ,éd. Lavoisier 2001
– Nancy GREEN, L’odyssée des émigrants. Et ils peuplèrent l’Amérique, éd.Gallimard 1994
– Thomas D. ISERN, Mark CARLETON of Kansas,
– Garry PAULSEN Making Wheat a Success in KansasLes faiseurs du succès du blé au Kansas
– Stephan SYMKO, Il n’aura fallu qu’une seule graine. L’Odyssée heureuse du blé Marquis au Canada depuis ses origines en Ukraine, texte mis en ligne sur le site d’Agriculture et agroalimentaire Canada en 99
– Bernard VOGLER (sous la direction de), Georges BISCHOFF, François IGERSHEIM, François PETRY & Charles ZUMSTEEG, L’Alsace, une histoire, édition Oberlin, 6ème éd. 1995
– Bernard WARKENTIN, sur Kansapedia
– John WOODWORTH, Russian roots & Canadian wingsDes racines russes & des ailes canadiennes- préfacé par Vladimir Tolstoï, éd. Penumbra Press, 1999
– Anton ZISCHKA Du pain pour deux milliards d’hommes, éd.Flammarion,1944, éd.originale en allemand, 1938
– L’émigration des mennonites dans l’Oriente de Bolivie est également retracée et transcrite sur le net grâce à Gwenaelle Pasco.
– L’implation des mennonites dans le Grand Chaco du Paraguay a fait l’objet d’un article du Monde diplomatique en août 2001.

Marc Dewalque Artisan Boulanger Belgique

Commentaires concernant : "L’émigration du blé" (1)

  1. Laurent Bourcier a écrit:

    Merci Marc, une fois de plus, et jamais suffisamment 🙂 pour ce superbe article des plus interressants! MERCI!

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