La bûche de Noël en Bretagne

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Lignes extraites de « La nuit de Noël dans tous les pays » – 1912 –

 « En Bretagne, la plus grande fête de l’année était la fête de Noël, et ce que nous, pauvres paysans, nous aimions le plus dans cette fête, c’était la Messe de minuit, explique Jules Simon dans une description reproduite par un grand nombre de journaux du XIXe siècle comme les Annales politiques ou la Revue française. Maigre plaisir, pour vous autres citadins qui aimez vos aises ; mais qu`était-ce pour nous, paysans, qu’une nuit blanche ? Même quand il fallait cheminer dans la boue et sous la neige, pas un vieillard, pas une femme n’hésitait.

On ne connaissait pas encore les parapluies à Saint-Jean-Brévelay, ou du moins on n’y connaissait que le nôtre, qui était un sujet d’étonnement et d’admiration. Les femmes retroussaient leurs jupes avec des épingles, mettaient un mouchoir à carreaux par-dessus leurs coiffes, et partaient bravement dans leurs sabots pour se rendre à la paroisse. Il s’agissait bien de dormir ! Personne ne l’aurait pu. Le carillon commençait dès la veille après l’Angelus du soir, et recommençait de demi-heure en demi-heure jusqu’à minuit ! Et pendant ce temps-là, pour surcroît de béatitude, les chasseurs ne cessaient pas de tirer des coups de fusil en signe d’allégresse ; mon père fournissait la poudre. C’était une détonation universelle. Les petits garçons s’en mêlaient, au risque de s’estropier, quand ils pouvaient mettre la main sur un fusil ou un pistolet.

Le presbytère était à une petite demi-lieue du bourg ; le recteur faisait la course sur son bidet, que le quinquiss (le bedeau) tenait par la bride, Une douzaine de paysans l’escortaient, en lui tirant des coups de fusil aux oreilles. Cela ne lui faisait pas peur, car c’était un vieux chouan, et il avait la mort de plus d’un bleu sur la conscience. Avec cela, bon et compatissant, et le plus pacifique des hommes, depuis qu’il portait la soutane, et que le roi était revenu.

On faisait ce soir-là de grands préparatifs à la maison. Telin-Charles et Le Halloco mesuraient le foyer et la porte de la cuisine d’un air important, comme s’ils n’en avaient pas connu les dimensions depuis bien des années. Il s’agissait d’introduire la bûche de Noël, et de la choisir aussi grande que possible. On abattait un gros arbre pour cela ; on attelait quatre bœufs, on la traînait jusqu’à Kerjau (c’était le nom de notre maison), on se mettait à huit ou dix pour la soulever, pour la porter, pour la placer ; on arrivait à grand’peine à la faire tenir au fond de l’âtre ; on l’enjolivait avec des guirlandes ; on l’assurait avec des troncs de jeunes arbres ; on plaçait dessus un gros bouquet de fleurs sauvages, ou pour mieux dire de plantes vivaces. On faisait disparaître la table du milieu ; la famille mangeait un morceau sur le pouce. Les murs étaient couverts de nappes et de draps blancs, comme pour la Fête-Dieu ; on y attachait des dessins de ma sœur Louise et de ma sœur Hermine, la bonne Vierge, l’Enfant Jésus.

Il y avait aussi des inscriptions : Et homo factus est ! On ôtait toutes les chaises pour faire de la place, nos visiteuses n’ayant pas coutume de s’asseoir autrement que sur leurs talons. Il ne restait qu’une chaise pour ma mère, et une tante Gabrielle, qu’on traitait avec déférence et qui avait quatre-vingt-six ans. C’est celle-là, mes enfants, qui savait des histoires de la Terreur ! Tout le monde en savait autour de moi, et mon père, plus que personne, s’il avait voulu parler. C’était un bleu, et son silence obstiné était peut-être conseillé par la prudence, dans un pays où il n’y avait que des chouans. L’encombrement était tel dans la cuisine, tout le monde voulant se rendre utile et apporter du genêt, des branches de sapin, des branches de houx, et le bruit était si assourdissant, à cause des clous qu’on plantait et des casseroles qu’on bousculait, et il venait un tel bruit du dehors, bruits de cloches, de coups de fusil, de chansons, de conversations et de sabots, qu’on se serait cru au moment le plus agité d’une foire.

A onze heures et demie, on entendait crier dans la rue : Naoutrou Personn ! Naoutrou Personn ! (M. le recteur, M. le recteur). On répétait ce cri dans la cuisine, et à l’instant tous les hommes en sortaient ; il ne restait que les femmes avec la famille. Il se faisait un silence profond. Le recteur arrivait, descendait de son bidet que je tenais par la bride (c’est-à-dire que j’étais censé le tenir, mais on le tenait pour moi ; il n’avait pas besoin d’être tenu, le pauvre animal). A peine descendu, M. Moizan montait les trois marches du perron, se tournait vers la foule découverte, ôtait lui-même son chapeau, et disait, après avoir fait re signe de la croix : « Angelus Domini nuntiavit Mariae ». Un millier de voix lui répondaient.

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La prière finie, il entrait dans la maison, saluait mon père et ma mère avec amitié, M. Ozon, le maire, qui venait d’arriver de Pénic-Pichou, et M. Ohio, le maréchal ferrant, qui était greffier du juge de paix. M. Ozon, M. Ohio étaient les plus grands seigneurs du pays. Ils savaient lire ; ils étaient riches, surtout le premier. On offrait au recteur un verre de cidre qu’il refusait toujours. Il partait au bout de quelques minutes, escorté par M. Ozon et M. Ohio, puis, aussitôt, on se disposait à bénir la bûche de Noël. C’était l’affaire de dix minutes.

Mon père et ma mère se tenaient debout à gauche de la cheminée. Les femmes que leur importance ou leurs relations avec la famille autorisaient à pénétrer dans le sanctuaire, ce qui veut dire ici la cuisine, étaient agenouillées devant le foyer en formant un demi-cercle. Les hommes se tenaient serrés, dans le corridor, dont la porte restait ouverte, et débordaient dans la rue jusqu’au cimetière. De temps en temps, une femme, qui avait été retenue par quelques soins à donner aux enfants, fendait les rangs qui s’ouvraient devant elle, et venait s’agenouiller avec les autres. Tante Gabrielle, revêtue de sa mante, ce qui annonçait un grand tralala, était à genoux au milieu, juste en face de la bûche, ayant à côté d’elle un bénitier et une branche de buis, et elle entonnait un cantique que tout le monde répétait en chœur.

Vraiment, si j’en avais retenu les paroles, je ne manquerais pas de les consigner ici ; je les ai oubliées, je le regrette ; non pas pour vous, qui êtes trop civilisés pour vous plaire à ces souvenirs, mais pour moi. Et, après tout, je n’ai que faire de la chanson de tante Gabrielle, puisque je ne sais plus un mot de bas-breton. L’air était monotone et plaintif, comme tout ce que nous chantons chez nous à la veillée ; il y avait pourtant un crescendo, an moment ou la bénédiction allait commencer, qui me donnait ordinairement la chair de poule… »

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