SOCIÉTÉ DES COMPAGNONS BOULANGERS, PÂTISSIERS RESTÉS FIDÈLES AU DEVOIR

Bicentenaire des Compagnons boulangers du Devoir

Deux Compagnons boulangers.

Gravure parue dans le journal L’Illustration à la fin du XIXe siècle

Il existe plusieurs versions sur la naissance des Compagnons boulangers, mais un point commun les relie toutes : c’est un Compagnon doleur qui a trahi sa société, en initiant des boulangers aux secrets du Devoir.
Voici la version qui est la plus répandue et que je me permet de nommer « légende officielle », telle qu’elle est publiée dans l’ouvrage Les Compagnons boulangers pâtissiers du Devoir présentent l’histoire Compagnonnique de leur corps d’état, de Georges Papineau, Blois l’ami du travail (ouvrage édité en 1991) :
Suite:
« Bien avant 1811, il existait des sociétés d’ouvriers boulangers dont l’organisation ressemblait à celle du Compagnonnage. Nous précisons une fois pour toutes, que malgré toutes les similitudes avec le Compagnonnage, les adhérents de ces sociétés ne se disaient pas Compagnons. Ils n’auraient jamais osé le faire, sachant bien à quoi ils se seraient exposés.
Leur survivance, parallèlement au Compagnonnage en boulangerie, nous fait même penser qu’ils ne le désiraient pas, se trouvant satisfaits des avantages matériels et moraux que leur procuraient leurs sociétés. [Blois l’ami du travail fait ici allusion au sociétaires de bienfaisance].
Mais d’autres ouvriers boulangers, non sociétaires, visaient plus haut ; ils voulaient entrer dans le Compagnonnage où ils espéraient trouver cette « force indéfinissable » qui assurerait à leur groupement la continuité dans le temps et à ses membres le liant qui manquait aux sociétaires. Enfin cet idéal, facteur de foi, de force et de sagesse si bien défini dans la constitution de notre 3e cayenne de Tours, sous le titre de : PUISSANCE DU DEVOIR.
Mais y parvenir était une véritable gageure.
Il ne pouvait être question d’obtenir d’aucun corps d’état que ce fut, les secrets d’initiation qu’ils conservaient tous si jalousement et avec juste raison.
Pour qu’un métier soit admis dans le Compagnonnage il était et il est toujours nécessaire qu’i1 soit parrainé par un autre métier en faisant déjà partie et ayant quelques similitudes avec lui.
Puisque ce n’était pas le cas pour le nôtre, il n’y avait donc aucun espoir par la voie habituelle.
II est certain que des relations de bonne camaraderie existaient entre Compagnons d’autre métiers et ouvriers boulangers et que cette question était souvent l’objet de conversations entre eux.
Il est non moins certain que tout en estimant personnellement leurs camarades boulangers, ces Compagnons désiraient rester fidèles à leur esprit corporatif et à leur serment. Qu’il nous soit permis d’approuver leur point de vue.
Les choses auraient pu en rester là. Mais au mois de septembre 1810, un Compagnon doleur du nom de Bavarois Beau Désir, étant gravement malade, fut hospitalisé pendant dix mois à Nevers. Pourquoi fut-il délaissé par les Compagnons doleurs qui avaient pourtant cayenne dans cette ville ? Nous l’ignorons. Ce fait est très surprenant pour une époque où l’entraide était un principe primordial si respecté dans le Compagnonnage.
Or Bavarois s’était lié d’amitié avec deux ouvriers boulangers qui, loin de l’abandonner, lui apportèrent aide morale et matérielle pendant sa longue maladie.
En reconnaissance de tous les bienfaits reçus, dès sa sortie de l’hôpital le 26 juillet 1811, considérant que ses deux amis avaient l’étoffe qui fait les bons Compagnons, Bavarois leur confia tout ce qu’il savait concernant le Compagnonnage, sans toutefois les recevoir Compagnons, ne possédant pas ce qui est nécessaire pour cette cérémonie. Mais leur promit de donner suite à leur instruction. Craignant que leur « grande camaraderie » attire les soupçons des Compagnons doleurs de Nevers, il les fit partir pour Orléans alors que lui-même se rendait à Beaune.
Dans cette ville il parvint à se faire nommer Rouleur ce qui lui permit, utilisant un stratagème, de copier les documents pouvant servir à une initiation.
Nous ne pouvons approuver Bavarois Beau Désir d’avoir ainsi trahi la confiance de ses frères. La rancœur qu’il éprouvait d’avoir été délaissé par eux pendant sa maladie, ne constitue ni un motif ni une excuse. À une époque où l’entraide était chose sacrée, les Compagnons doleurs avaient peut-être des raisons que nous ne connaissons pas pour agir ainsi à son égard. Mais l’indulgence devant la misère n’est-elle pas une de nos vertus ?
Abstenons-nous de juger le comportement des uns et des autres : ce n’est pas notre rôle.
Bavarois était parfaitement conscient de la gravité de son acte et, sans lui accorder de circonstances atténuantes, reconnaissons toutefois qu’il eut à cœur de dégager entièrement la responsabilité des autres membres du bureau de la cayenne des doleurs de Beaune.
De même il voulut donner à ses « enfants » une preuve écrite afin qu’ils puissent s’en servir au besoin, sans risquer d’être accusés d’avoir dérobé ces documents.
C’est donc le 26 juillet 1811 à Nevers que Bavarois Beau Désir commença l’instruction de ses deux amis. II est à supposer qu’il venait juste de se remettre de cette maladie qui, ayant durée dix mois, avait vraisemblablement commencé au mois de septembre 1810.
Le 29 septembre 181l, il établissait à Beaune, usant d’un stratagème, le document suivant :
[sur papier timbré 0.25 Empire Français]
Ce jourd’hui 29 septembre 1811 étant rouleur a Beaune jouissant de toutes mes facultés. déclare qu’il est entré dans le vœux de mes intentions et dernière volonté, que le 26 juillet dernier étant à Nevers j’ai reçu et donné le secret du Compagnonnage des doleurs à deux boulangers, un que j’ai nommé Nivernais frappe d’abord et Montmart l’inviolable cet acte de bienveillance de ma part n’a été donné qu’en reconnaissance des bienfaits que j’ai reçu d’eux dans la ville de Nevers pour une maladie que j’ai et qui a durée 10 mois où je n’ai reçu aucun secours de mes frères Compagnons doleurs. Je déclare aussi aussitôt l’affaire faite j’ai fait partir mes deux enfants pour Orléans où je dois aller les rejoindre sous peu de jours et moi je suis parti pour Beaune, au bout de quelques temps que j’ai travaillé dans cet endroit l’on m’a nommé rouleur ce qui m’a donné facilité de finir l’ouvrage que j’ai entrepris. Je déclare pour ne compromettre personne que le 24 de ce mois les 2 Compagnons qui sont en place avec moi qui sont Nantais le soutien et Bourguignon l’espérance m’ont confié leur clef pour serrer dans la caisse une lettre importante venant de Cognac et que j’ai fait feinte de fermer, que j’ai donné le tour de clef de fermeture que de ma clef ce qui ma donné facilité de retirer les pièces de la caisse et d’en prendre copie seulement et j’ai remis les autres clefs à leur place et j’ai fait le présent certificat que j’ai apostillé de notre cachet que je donnerai à mes enfants au moment où je serai en sûreté pour leur servir au besoin. Ce sont là mes volontés c’est pourquoi je l’ai signé.
Fait a Beaune le 29 septembre 1811 Bavarois beau désir Compagnon doleur. [cachet des Compagnons doleurs de Beaune]
Le 12 octobre suivant, il quittait cette ville où ses frères, loin de penser qu’il avait trahi, le mettaient sur « les champs », c’est-à-dire lui faisaient la conduite, ce qui n’est accordé qu’aux Compagnons irréprochables. Arrivé à Orléans, il apprit que ses enfants, passés quelque temps auparavant et n’ayant pas trouvé de travail, étaient repartis pour Blois. Il se rendit aussitôt dans cette ville chez la Mère des Compagnons doleurs, 3 rue de la petite poste.
Entre temps nos deux premiers néophytes avaient parlé à d’autres ouvriers boulangers de la possibilité qui leur était offerte d’entrer dans le Compagnonnage et tout nous laisse supposer que cette nouvelle fut accueillie avec un certain empressement, comme nous le verrons dans un instant. Dès son arrivée à Blois, Bavarois informa ses enfants qu’il avait en main tout ce qu’il fallait pour les recevoir Compagnons et, ensemble, se procurèrent ce qui était matériellement nécessaire pour une réception.
Celle-ci eut lieu dans la nuit du 31 octobre au premier novembre 1811 et commença par l’initiation des deux néophytes de Nevers qui, rappelons-nous, n’avaient pu être totalement instruits faute de documentation suffisante. Ces deux premiers Compagnons boulangers sont :
Gaudin, Nivernais frappe d’abord, né dans la Nièvre, décédé en 1824.
Blondel, Montmart (voir Montbard) l’inviolable, né dans les Landes, décédé en 1819.
Aussitôt après cette première réception que Bavarois fit seul, celui-ci, assisté de ses deux premiers enfants, procéda à la réception de 18 autres ouvriers boulangers. En voici les noms :
Gosselin, Angoumois l’espérance, né en Charente, décédé en 1825.
Homard, Poitevin le divertissement, décédé en 1848.
Bernard, Vivarais la gaité, décédé en 1829.
Burnet, Angoumois va sans crainte, décédé en 1835 à Rochefort.
Millet, Poitevin la fidélité.
Vincent, Périgord l’inviolable, né en Dordogne, décédé en 1819.
Levigne, Bourguignon la résistance, décédé en 1823.
Gaspard, Bourguignon fleur d’épine, décédé en 1817.
Daudin, Gascon la franchise, né dans le Gers décédé en 1816.
Durandeau, Gascon le plaisir des filles, né dans le Gers, décédé en 1821.
Maurice, Angoumois la couronne, décédé en 1813.
Babaud, Limousin l’ami des frères, décédé en 1830.
Dehay, Bourguignon beau désir, décédé en 1816.
Marceau, Berry la vigilance, décédé en 1821.
Garineau, Guépin l’exemple de la vertu, décédé en 1826.
Servant, Bordelais fleur de rose, décédé en 1812.
Lapierre, Manceau la belle conduite, décédé en 1817.
[17 noms seulement sont cités dans l’ouvrage, alors que Blois l’ami du travail nous informe qu’ils sont au nombre de dix-huit]
Nantis de la copie des documents que Bavarois s’était procuré à Beaune, nos premiers Compagnons boulangers du Devoir purent s’instruire totalement sur ce qu’un Compagnon doit savoir, surtout les reconnaissances.
C’est ainsi que sur les conseils de leur « père », quatre d’entre eux se rendirent à l’assemblée tenue par les Compagnons doleurs le 9 novembre 1811, où ils se firent reconnaître Compagnons doleurs puis, cela fait, ils se déclarèrent Compagnons boulangers.
II est facile de se rendre compte de l’émoi des Compagnons doleurs présents, devant une telle déclaration.
À cette époque où le fanatisme n’admettait aucun pardon, nos quatre héros étaient réellement en danger d’être battus, peut-être même tués. Bavarois eut bien de la peine, sans se trahir, à obtenir qu’on les laisse partir.
La stupeur était à son comble, et pourtant les dix Compagnons doleurs présents ne pouvaient nier l’évidence : les quatre hommes qui s’étaient présentés possédaient bien tous les secrets du Compagnonnage. Que faire ?
Une Assemblée générale de tous les Compagnons de la région de Blois, fut convoquée. Ne pouvant défaire ce qui était fait, la raison prit peut-être le dessus puisque il fut donné aux Compagnons boulangers l’autorisation de prendre une retraite de trois mois pour donner le temps de la réflexion de part et d’autre.
Les reconnaissances furent changées et données parcimonieusement. Bavarois ayant défendu les quatre ouvriers boulangers, était-il suspect ?
Peut-être puisqu’il ne les reçut pas et, de ce fait, ne put les donner à ses enfants.
Se sentant visé, il jugea prudent de quitter Blois et se rendre à Orléans au mois de janvier 1812. Entre temps, les Compagnons boulangers, qui avaient eux-mêmes jugé plus prudent de prendre quelques distances, s’étaient rendus à Orléans où ils avaient fondé la deuxième cayenne le jour de Noël 1811, en recevant dix nouveaux Compagnons.
À son arrivée, Bavarois leur fit part de ses craintes et, ensemble, ils décidèrent de le faire partir pour les colonies où il serait en sûreté. C’est ainsi que Bavarois et quatre Compagnons boulangers partirent le 22 janvier 1812 pour Bordeaux, afin d’y chercher un embarquement.
Ayant trouvé du travail dans cette ville, ils trouvèrent un bateau en partance et se mirent d’accord avec le capitaine Williams, commandant le Woodesie, appareillant pour New-York. Celui-ci s’engagea à prendre Bavarois à son bord moyennant une somme de cinq cents francs.
Une somme égale lui ayant été remise, c’est donc mille francs que les Compagnons boulangers réussirent à réunir pour mettre leur « père » en sécurité.
Quand on pense à l’énormité de cette somme en comparaison avec ce que gagnait un ouvrier boulanger en 1812, on reste confondu devant un tel dévouement de la part de nos premiers Compagnons.
Le départ devait avoir lieu le 17 février 1812. Afin de ne pas attirer l’attention, Bavarois devait s’y rendre seul et les autres Compagnons boulangers, venir par un autre chemin. Ces derniers vinrent assister au départ du bateau, mais Bavarois ne s’y présenta pas.
Nul ne l’a jamais revu.
Nul n’a jamais su ce qu’il était devenu.
La veille de son départ Bavarois avait, sur le verso du certificat du 29 septembre 1811, fait un second […] »
Le certificat de Bavarois beau désir fait partie des archives des Compagnons boulangers pâtissiers du Devoir de Paris.

Monument à Notre Mère Jacob, cimetière de Tours.

© Photographie Laurent Bastard.

Quand il y a trahison, les corps trahis changent en tout ou en partie leur reconnaissance. La reconnaissance était à cette époque, où la photographie n’existait pas, la chose fondamentale, avant le contenu de la réception proprement dit, n’oublions pas d’ailleurs que la reconnaissances des Compagnons boulangers s’appelle « Le Devoir » ; la « Totalité » réunie dans un seul rite… De nos jours, époque de la photographie, des dossiers informatiques, des changements de villes organisés à l’aide de programmes informatiques, la reconnaissance est devenue secondaire. La réception à cette époque était le processus, la méthode, pour s’assurer que le postulant possédait les qualités requises pour recevoir la reconnaissance – composée de mots, de signes et d’attouchements pour se faire reconnaître comme frère d’un parfait inconnu jusqu’alors, et pouvoir ainsi bénéficier de l’ensemble des avantages que proposait la société à ses membres.
Mes amitiés à tous.
Picard la fidélité
Compagnon Pâtissier Resté Fidèle au Devoir

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